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Une Révolution dans le royalisme - Préface

4 avril 2010, 19:11, par F.Aimard

Quand le lycéen Olivier Lespès décida de faire le mémoire de fin d’étude qu’on va lire (ou relire), car c’était prévu dans le lycée privé où il avait suivi sa scolarité, j’étais pour ma part militant royaliste depuis plus d’une dizaine d’années et responsable de l’imprimerie du mouvement. J’ai composé ce livre sur ma « Compocarte IBM », mon ami Patrice l’a imprimé sur notre Hamada 500-CD. Et nous l’avons paginé et relié avec des machines que nous maîtrisions assez mal mais dont nous étions très fiers. Je m’étais engagé à la N.A.F. dès les premiers mois de sa fondation, en 1971, alors que j’étais lycéen, à Lakanal, immense établissement de la banlieue sud de Paris qui faisait alors figure de cocotte-minute politique où des groupes communistes, maoïstes, trotskistes, anarchistes, « situationnistes », et autres gauchistes de tout poil pouvaient chacun compter sur non pas des dizaines, mais des centaines de militants mobilisables d’un claquement de doigt, prêts à réagir par exemple à la moindre « provocation » d’une rare extrême-droite allant des fascistes de Nouvelle Europe aux gaullistes de l’Uni. Qui pourrait croire aujourd’hui que notre section royaliste comptait une dizaine de militants « chevronnés » et une bonne cinquantaine de sympathisants ? Nous faisions des collages d’affiches avec trois véhicules. Un jour nous invitâmes Gérard Leclerc dans la grande salle du foyer du lycée. 150 lycéens au moins étaient là, peut-être plus, et il sut les subjuguer avec une chevelure, une gestuelle et une dialectique qui n’avaient rien à envier aux leaders gauchistes de l’époque. Il faut dire qu’en ces années hyperpolitisées de l’après-Mai 68, dans beaucoup d’endroits, celui qui voulait prendre la parole pouvait presque toujours le faire pour peu qu’il respectât les formes du moment. Nous autres, jeunes royalistes, chevelus et en jean à « pattes d’éléphant » avions choisi dans la vieille panoplie des slogans maurrassiens « Monarchie = Anarchie + Un » ou bien « Monarchie populaire » que l’on peignait en lettres blanches énormes sur les murs des maisons visibles depuis le RER…

Ce temps ne dura pas pour moi. Étudiant en Histoire à Censier, bastion que se disputaient communistes et troskistes de « l’AJS », je subis un quasi terrorisme intellectuel et physique de la part de professeurs et d’étudiants qui n’avaient plus rien de mes débonnaires condisciples du lycée, même quand c’était les mêmes personnes... Qu’étais-je aller faire dans cette galère ? Je trouvais tout de même l’occasion d’exprimer ma fougue militante dans de passionnantes ventes à la criée du journal sur le boulevard St-Michel ou à la gare St-Lazare où nous discutions des heures avec des personnes de toutes générations que l’idée de Monarchie n’effrayait pas plus que ça et qui nous donnaient volontiers une petite pièce pour nous encourager. Privilège de la jeunesse enthousiaste, réchauffant le cœur des victimes du « métro-boulot-dodo ». En 1974, je fis mon service militaire, intense moment militant aussi, même s’il ne me permit pas de profiter comme je l’aurais voulu de la campagne présidentielle de Bertrand Renouvin. Et puis, à mon retour, en 1975, la société avait déjà beaucoup changé, le libéralisme était à l’œuvre et l’inquiétude générale remplaçait de plus en plus largement le goût de l’utopie et du débat. Je fis des études de droit dans la petite faculté de Sceaux où je retrouvais une assez grande liberté de discussion, où je pu encore faire venir Gérard Leclerc et d’autres orateurs devant des publics importants, ouverts et intelligents d’étudiants et même de professeurs. Mais le temps des militants nombreux et corvéables à merci était en train de passer. Vint le temps des petits groupes, des déceptions pratiques que ne compenseraient pas quelques réussites techniques comme, pour moi et mon camarade Patrice, l’installation de cette lourde Offset et d’un atelier de composition aux quatrième étage des locaux de la NAF (sans ascenseur…) d’où sortaient alors livres, brochures et revues royalistes notamment.

On lira dans le travail d’Olivier Lespès que la NAF des débuts était « maurrassienne ». Sans doute puisque j’avais, moi aussi, lu sérieusement une bonne dizaine de livres du Maître et que je m’étais même laissé convaincre de son talent de poète. Sans doute puisque j’achetais avec voracité des romans de Léon Daudet ou des essais de Georges Valois (à 1 F !) sur les quais de la Seine ou aux Puces de Montreuil. Gérard Leclerc publiait, trop tard, « Un Autre Maurras » qui faisait du vieux réactionnaire pétainiste dont nous avons l’image, une sorte de soixante-huitard avant la lettre… Un livre que Gérard aurait probablement écrit tout à fait autrement quelques mois seulement plus tard ? Oui, les idées du mouvement évoluaient, ainsi que le décrit Olivier Lespès, mais peut-être pas aussi nettement que cela peut ressortir de l’étude des papiers que l’ont peut désormais redécouvrir sur le site www.archivesroyalistes.org. En vérité nous ne savions pas grand chose de l’histoire de l’A.F., de ses raidissements, de ses ignominies… Je n’ai jamais rencontré aucune trace d’antisémitisme dans ce qu’on a pu m’apprendre à la NAF. Bien au contraire, le mouvement fondé par le fils de Jacques Renouvin, grand résistant royaliste mort en camps de concentration, était imprégné d’un « gaullo-monarchisme » qui me semble avoir été pré-existant à la redécouverte du Prétendant que décrit Olivier Lespès.

Je crois pouvoir dire que notre royalisme était plus d’affirmation que de contestation, notre révolte était celle de toute une jeunesse et se faisait assez largement avec des fleurs (de lys). Nous puisions certes dans le vieux fonds doctrinal mais avec les lunettes roses de notre temps. Pierre Andreu par exemple, un très vieux royaliste qui avait vu beaucoup de choses, nous expliquait, dans un des premiers numéros de la revue « Le Lys rouge » que je lançais avec Roland Eymard et José Macé, que « l’autogestion » c’était au fond ce qu’avait toujours voulu le marquis de la Tour du Pin, le théoricien français du corporatisme à la fin du XIXe siècle ! Et nous acceptions de le croire avec reconnaissance et affection. Et nous arrivions, sur ces bases, à discuter avec des « autogestionnaires » proches de Michel Rocard…

J’arrête là cette préface bavarde à ce petit livre dont j’ai donc été à l’origine matérielle lors de sa première édition et dont j’espérais depuis longtemps une réédition pour laquelle d’aucuns avaient envisagé un travail de complément. Cette réédition se fera sans les compléments prévus et grâce à un site d’édition électronique. C’est mieux que rien. Le temps de la longue histoire qui a suivi ce qui est raconté ici n’est sans doute pas encore venu. Ceux qui ont vécu cette suite n’ont guère le goût de se raconter, car il faut dire que la route a été de plus en plus difficile, parsemée d’embûches et de désillusions. Mon propos aujourd’hui est de dire que je ne me reconnais pas entièrement dans l’honnête travail du lycéen de 1983 dont nous avons aimé la candeur et qui, comme tant d’autres militants, n’a pas donné tous les fruits que l’on espérait de lui. Il a fait cependant alors un travail unique. Mais le vrai travail d’historien professionnel resterait à faire. Il se fera sans doute, quand nous serons tous morts et que les trois quarts des archives auront disparu, comme c’est toujours le cas. Il y a une seule chose dont je suis sûr, c’est que dans la deuxième moitié du XXe siècle, deux mouvements royalistes seulement méritent de laisser une trace dans l’histoire politique et dans l’histoire des idées. Ce sont la Nation française et la Nouvelle Action Royaliste. Cela grâce aux qualités intellectuelles et aussi morales de leurs fondateurs. Quelqu’un justifiera peut-être un jour mes affirmations péremptoires.

F.A.

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